Un mot de Serge Anton

DEPUIS MON ENFANCE

Depuis mon enfance je suis fasciné par les visages. Je ne cesse de les observer, de tenter de les lire, de cerner ce qu’ils expriment et d’en décrypter le sens. Enfant, je me sentais littéralement entouré de livres à visages humains.
« Le visage est le miroir de l’âme »… Il est le reflet de ce que l’être cache au plus profond de lui, spirituellement et émotionnellement, un état d’âme, une expression fugitive ou passagère. J’aime en capter un fragment, saisir ce qui se révèle en un instant furtif et qui n’appartient qu’à cet instant.
Toujours guidé par l’instinct, je nourris une attirance pour les temps forts de l’existence, les extrêmes qui s’étirent de l’enfance – son insouciance, son ingénuité créatrice voire ludique – à la vieillesse, empreinte de sagesse, de dignité et de sérénité. Au « sens du milieu », de l’à peu près, du compromis,… je préfère les contrastes forts et les réalités humaines extrêmes, tellement plus inspirantes à mes yeux.
Les visages et les regards ont cette part de mystère qui exerce sur
moi une véritable fascination, tout comme les lieux, paysages naturels ou architectures humaines aux matières et textures brutes et imparfaites.
Le mystère est tout à la fois synonyme d’obscurité, de profondeur, de discrétion, de magie et de silence.
Enfant, je me baladais souvent seul dans les bureaux où travaillait
mon père, peuplés de lianes et de masques d’Afrique et autres contrées lointaines. Lieu sombre, effrayant et fascinant à la fois où le noir s’impose avec toute sa richesse de nuances et de profondeur.
Je n’aime guère être exposé aux projecteurs, à l’agitation d’une vie de strass et de paillettes, préférant évoluer « à la lumière de l’ombre ». Comme disait Shakespeare, une existence menée « à l’abri de la cohue publique révèle des voix dans les arbres, des livres dans les ruisseaux qui coulent, des leçons dans les pierres… ».

SERGE ANTON, PHOTOGRAPHE

A word from Eric Hollander

L’EMPREINTE DU TEMPS

Chaque fois que je regardais un portrait de Serge Anton – ou plutôt, chaque fois qu’un portrait de Serge Anton me dévisageait – je me posais la même question : mais qu’a-t-il dit avant d’appuyer sur le bouton ? S’est-il planté devant ce noble vieillard africain en affirmant : « Attention le petit oiseau va sortir » ? Et cette centenaire marrackchi qui sourit de toute son absence de dents obtempère-t-elle à la bonne veille injonction « Cheeeese » ? Rien de ce genre, je le sais aujourd’hui.
Le secret de Serge Anton, qui est aussi la pierre angulaire de son travail, c’est le temps. Avant de produire des images, Serge Anton crée la confiance. En Éthiopie comme sur les hauteurs de l’Atlas, dans une langue universelle maîtrisée par lui seul, il forge avant tout des relations. Il peut passer trois jours avec l’un de ses sujets avant de lui proposer de lui tirer le portrait…ou pas. D’ailleurs, dans ce qu’il appelle son souk – 300 m2 à Bruxelles remplis d’objets ramenés d’Afrique depuis près de 30 ans – on trouve principalement les outils de la rencontre : des chaises, des tables, des tapis, des récipients pour boire et partager le thé…
Une fois – une seule fois, en Éthiopie – on le flanqua de deux interprètes officiels, Tchoutchou et Mamouchette, chargés de convaincre les villageois
de prendre la pose. Après huit jours de palabres, Serge n’avait toujours pas
le début d’une photo. Il décida alors de rémunérer ses deux acolytes pour patienter dans la voiture et en revint à la technique toute personnelle qui
avait fait ses preuves. Quelques heures plus tard, Serge ramenait une série de portraits qui comptent parmi les plus forts de son œuvre, laissant Tchoutchou et Mamouchette bouches bées…
Si prendre le temps est sa manière de faire, le temps qui passe est aussi son grand sujet. Il a fait de la photo de mode pendant dix ans avant de se lasser de cette absence de rides, d’expérience, d’épaisseur et, somme toute, de sens. En revanche, il aime la matière. Le bronze, le bois, le fer, la peau… Surtout la peau des personnes âgées, ce parchemin qui se passe de mots pour raconter l’histoire d’une vie.
Sa matière de prédilection, c’est la matière humaine dont l’Afrique est le berceau. Il explore l’une et l’autre avec minutie, respectueusement, au plus près de leur vérité, constituant tranquillement ce que nous considérerons un jour comme un travail majeur portant non pas sur la résignation, mais sur la dignité.

ERIC HOLLANDER, FONDATEUR DE L’AGENCE AIR

Un mot de Nicola Giovannini

L’ART DU PORTRAIT MAGNÉTIQUE ET ENVOÛTANT

Plus de 30 ans de trajectoire artistique dont j’ai pu suivre l’évolution
depuis les prémices. Trois décennies d’amitié aussi, c’est dire si la posture de témoin « privilégié » s’impose à moi de manière naturelle et simple à la fois.
Si nous nourrissions tous deux une passion commune pour l’art et la beauté sous leurs formes les plus diverses et pour l’émotion qu’elles procurent, Serge Anton m’a permis, à travers son œuvre, de l’appréhender sous ses manifestations insolites, atypiques, moins immédiates et évidentes.
Dès ses premiers essais, déjà marqués par une méticulosité et une rigueur extrêmes, j’ai compris que cet artiste en éclosion ne concevait pas la photographie comme une simple discipline professionnelle, mais comme le médium de prédilection pour exprimer sa sensibilité et sa vision du monde et communier avec celles des autres. Que ce soit à travers son étude macrophotographique et quasi abstraite des matériaux naturels et de leurs textures, sa vision à la fois épurée et lyrique des paysages naturels et des architectures urbaines, ou, bien entendu son art inouï du portrait, Serge Anton se distingue par un don inné d’extrapolation de la charge poétique et de la force d’inspiration mystérieuse que ces sujets recèlent. En digne héritier du chiaroscuro, cet orfèvre nous rappelle aussi le contraste et la réciprocité saisissants entre l’univers de l’ombre et celui de la lumière.
Une existence marquée et stimulée par la ténacité, l’esprit de découverte, une curiosité insatiable et la quête de rencontres humaines plurielles et diverses, fruits du hasard ou de la volonté, mais toujours scellées dans la pudeur et la complicité. Au gré de ses pérégrinations aux quatre coins du globe, Serge Anton n’a ainsi cessé d’accroître son acuité visuelle, d’aiguiser sa vision du monde et des choses tout en gardant intacte sa capacité d’étonnement, voire d’émerveillement.
À l’image de ses séries de portraits de femmes, d’enfants et de vieillards, glanés sur les routes ensablées ou les chemins de traverses de contrées lointaines. Regards habités à la puissance envoûtante et magnétique, visages magnifiés par l’empreinte du temps ou encore vierges de son emprise, autant d’expressions de ce trésor intérieur que représente la dignité humaine. Et si Serge Anton parvient à traduire celle-ci, c’est parce qu’il n’est jamais guidé par le voyeurisme ou la soif d’exotisme, mais bien par une humble et profonde empathie pour les personnes photographiées.
Loin des effets de mode et de toute tendance intellectualisante, l’œuvre
de Serge Anton traduit certes une exigence intense de maîtrise formelle, mais elle est aussi et surtout marquée par une quête d’intériorité et de profondeur. Par-delà leur évidente perfection esthétique, aussi subjective soit-elle, ses clichés renvoient à une essence intemporelle qui nous captive et nous touche, tout en laissant une porte ouverte sur le rêve et l’imaginaire.

Nicola Giovannini, Écrivain et libre-penseur

Un mot de Urs Albricht

A LA RENCONTRE D’UN MONDE ARCHAIQUE

Ce n’est pas tant la technique qui signe la force et la singularité de ces portraits d’hommes du monde – bien qu’elle soit largement présente et maîtrisée – mais ce qui frappe, c’est l’équilibre apprivoisé entre intimité, proximité et distance contenue. Serge Anton ramène de ses voyages en Afrique des portraits qui nous touchent, se faisant le témoin discret de rencontres authentiques parmi des tribus reculées.
Aucun instantané, aucune photo volée, il s’agit de rencontres placées sous le signe d’un respect mutuel, d’une distance intimement et mutuellement apprivoisée, qui laisse deviner la capacité d’empathie de son auteur. Face à ces portraits, nous ne pouvons que nous laisser magnétiser par la pureté, la sincérité de ces regards. Il est évident qu’aucun d’eux n’a pour habitude de prendre
la pose… ils s’imposent tels qu’ils sont, révélant leur existence authentique,
leur humanité intacte, dépourvue de convenances dictées par la société de consommation
Ils nous ouvrent une part de leur quotidien : tel ce petit garçon au regard tendre et curieux, qui joue avec un bidon ou ce Berbère dont le visage tanné
se fait à lui seul, le reflet de sa vie, mais aussi et surtout l’écho du paysage qui l’entoure, de l’architecture couleur argile de son village et de toute la dignité de son peuple.
D’une certaine façon, les clichés montrant les constructions d’argile dans le sud du Maroc sont aussi des portraits. Vibrants témoignages d’une architecture finissante, si inhabituelle et majestueuse qui, même en ruine, continue à évoquer grandeur et beauté. Certaines se font tellement imposantes qu’elles nous rappellent nos plus illustres cathédrales.
L’édition de FACES, livre-hommage aux êtres, aux civilisations menacées, à l’Homme Noir, correspond à la création d’un lieu secret aux trésors cachés, comme enfoui sous terre : OBOSOUK. Serge Anton y a réuni 30 années d’objets de partage et de rencontre comme autant d’hommages et de témoignages vibrants des us et coutumes de ces tribus oubliées. Dans ce sanctuaire, chaque objet passe de l’ombre à la lumière dans une envolée dramatique suivant une chorégraphie lumineuse orchestrée par cet esthète qui a su apprivoiser l’ombre avant la lumière…
Les photos de Serge Anton, et notamment ses portraits, se distinguent particulièrement par sa maîtrise de la lumière. Les murs s’érigent dans l’ombre rasante, dessinés par les premiers rayons du soleil ou les dernières lueurs du jour,
le ciel s’emplit de nuages improbables renforçant la portée dramatique de l’œuvre; de toutes ces traces qui constituent autant de documents, témoins d’une culture qui se meurt peu à peu, nous rappelant l’Île des morts d’Alfred Böcklin.

Urs Albrecht, Acheteur d’art